Version des faits par le médecin de l'île
Docteur Louis-Marie LE CABELLEC
Afin que l'Affaire Appendicite Désirade ne tombe pas dans l'oubli, voici ma version des faits, tels que je les ai intimement vécus.
Présentation de l'île de la Désirade
La Désirade, petite île en forme de cigare de 20 km2, est située à 15 km de la pointe des Châteaux (extrémité Est de la Guadeloupe). Elle fut découverte par Christophe Colomb, lors de son deuxième voyage aux Antilles, mais très rapidement abandonnée car inhospitalière, du fait de son manque d'eau et de port naturel !
Le massif corallien barre le sud, la montagne limite l'accès au nord. La traversée du Canal entre la Guadeloupe et la pointe ouest de la Désirade, laisse d'affreux souvenirs aux marins et angoisse tous ceux qui veulent voyager ; il ne reste qu'un petit port accessible, depuis l'origine, la passe de Baie-Mahault.
Une seule bande de terre est habitable, le long de la côte sud de l'île, d'environ 200 mètres de large. Il n'existe que deux sources d'eau : l'une au Morne Cybelle, l'autre à Baie-Mahault.
Île désolée, abandonnée, rapidement désignée pour accueillir des lépreux et des fils de bonne famille mis aux bans ; une industrie cotonnière apporta, définitivement, avec son lot d'esclaves la triste renommée de cette île. Car Elle garde cette image épouvantable aux yeux de tous : Désirade, île maudite.
Mais c'est la plus belle et la meilleure de toutes les Antilles
Surtout, il ne faut pas que cela se sache, car Elle mérite d'être protégée, pour ne pas dire sauvegardée de l'appétit gourmand des politiques et des financiers.
Les habitants sont pour la plupart, des marins pêcheurs, des cultivateurs, des éleveurs de cabris, des fonctionnaires, des retraités et des métropolitains fous amoureux de cette île.
C'est une population humble, pauvre, généreuse, particulièrement attachante, n'ayant que leur couleur comme différence. Ne pouvant compter sur des cultures vivrières du fait du manque d'eau, toute l'alimentation doit être importée ; de ce fait, la vie est chère.
La pauvreté et le manque de travail favorisent l'alcoolisme et la drogue parmi les jeunes, sous l'oeil indifférent, voire complice, des autorités en présence.
L'eau, élément de survie, a toujours été une priorité ; de tout temps, les désiradiens ont recueilli l'eau de pluie dans de grandes jarres en terre cuite ou dans des citernes. Elles existent toujours et je puis vous assurer que l'eau est bonne, douce et ne propage aucune maladie, car c'est une pratique séculaire, perpétuée jusqu'à ce jour.
Début du phénomène appendicite Désirade
› Le premier juillet 1995 , j'ai commencé mon activité à la Désirade, en allant chercher une femme imprudente qui était tombée de la falaise, dans le Grand Nord. Quelle aventure ! Partir en bateau récupérer une fracture de deux vertèbres lombaires, après une chute de plusieurs mètres, sur une plage inaccessible. C'est alors que j'ai réalisé que la médecine à la Désirade n'avait rien à voir avec ce que j'avais connu en métropole, malgré mes 19 années de médecin pompier. Il fallait se débrouiller tout seul et sans moyen. Cette intervention m'a bien servi : j'ai fait la une des journaux. Ce n'était pas mal pour un début ... Rapidement, j'ai créé des liens avec la population.
› Septembre 1995, je vivais mes premiers cyclones Iris, Luis,Maryline. En même temps, je découvrais le manque d'électricité et d'eau. C'était nouveau, exaltant : l'île de Robinson Crusoé.
Dans cette situation d'urgence il existait sur cette île une solidarité magnifique entre tous les habitants. La solitude était bannie, l'entraide était omniprésente.
L'eau manquait au robinet, car la canalisation sous-marine s'était rompue ; mais tout le monde ou presque disposait de citerne, sinon on s'approvisionnait aux sources Cybelle ou Petite Rivière, si bien que nous n'étions pas sans eau potable.
› Dés mon arrivée à la Désirade, j'ai été nommé médecin sentinelle par la DDASS. Ainsi, tous les lundi matins à 11 heures, je devais signaler toutes les affections sévissant sur l'île, au cours de la semaine écoulée. Pendant cette période, il n'y avait aucun problème de santé particulier : RAS.
› Grâce à l'effort de plongeurs, dont certains désiradiens, la conduite d'eau fut rétablie entre la Guadeloupe et la Désirade. Une demi-heure après la réparation de la conduite sous-marine, L'EAU coulait aux robinets, certes, brune, nauséabonde, putride, charriant des vers, mais nous avions de l'eau courante ! une source disponible dans notre maison !!! Fini les corvées d'eau !!!
Savez vous ce qu'est le manque d'eau ? Faire sa provision pour la journée, dans tous les récipients disponibles : seaux,casseroles, poubelles... Prévoir pour la cuisine, le lavage, la toilette. Avant tout, économiser ce précieux liquide, jusqu'à la moindre goutte.
› A Baie-Mahault, nous étions privilégiés, car en plus des citernes, il y avait de l'eau à la source de Petite Rivière et on y allait se rincer après le bain de mer.
Au Morne Cybelle, leur vie n'avait pas changé ; ils avaient une source et ils s'en servent depuis toujours.
› Mais dans le Bourg, ils devaient utiliser les vieux puits, contaminés par les hydrocarbures de la centrale E.D.F., dont un personnel nombreux s'employait au nettoyage de la nappe phréatique et purgeait le terrain en dessous de la centrale . Dans le puits du défunt MATHURIN, il y avait tellement de pétrole, à ce qu'on dit, qu'il en vendait ; mais, ceci fait partie des légendes qui entourent cette île mystérieuse.
Début des problèmes, début du cauchemar
› Rapidement, après le rétablissement de la Fée «Eau Courante», sans qu'aucune purge n'ait été effectuée, si ce n'est une vérification du bon écoulement, aux Sables, les enfants désiradiens ont commencé à se plaindre de douleurs abdominales, sans fièvre, sans diarrhée ni vomissement. Ils avaient mal au ventre.
› Au début, ce n'était pas des adultes ! Mais des nourrissons, de jeunes enfants, des enfants de l'école primaire ; tous, des jeunes du Bourg. Ce n'est qu'un peu plus tardivement que le phénomène s'est propagé aux autres sections de l'île, en respectant, toutefois, la section des Galets. Ensuite, ce sont des adultes et des vétérans qui ont commencé à se plaindre d'avoir mal au ventre, et pourtant ces rudes marins sont durs au mal !
› Dans le même temps, les gens se plaignaient de «grattelle», de boutons, d'éruption de vésicules ...Et les femmes de douleurs et d'infections gynécologiques...
Satan avait envahi la Désirade et tourmentait ses habitants ! Sinon il devait y avoir une autre cause !
Le problème Désirade
› Les désiradiens sont des gens modestes et sans ressources, pas toujours à jour de leurs cotisations de sécurité sociale, donc, un peu en marge. Mais leur médecin n'est pas regardant. Souvent, il se fait payer en poisson, parfois en café pays ou en confiture de cajou et la plupart du temps, pas du tout. Si seulement, un traitement médical avait suffi pour les guérir ? Hélas ! Malgré toutes les thérapeutiques entreprises, rien n'y faisait pour obtenir un soulagement. Ils avaient mal au ventre !
Sur l'île, pas de laboratoire, pas de centre de radio ni d'échographie. RIEN, que mon peu de savoir faire, après 19 années d'exercice en Bretagne.
› Malgré le voyage difficile dans le canal entre Saint-François et la Désirade, les malades devaient partir en Guadeloupe, vers des centres médicalisés : C.H.U., cliniques privées, spécialistes. Ceci à grands frais!!!
› Tous avaient des problèmes chirurgicaux : appendicites ou salpingites (dans tous les établissements médicaux confondus). Rapidement, une sélection a été faite par les malades : au C.H.U., ils étaient reçus dans les couloirs, par des internes, s'ils n'avaient pas été renvoyés auparavant par des infirmiers ou des aides-soignants, dès lors qu'ils venaient de la Désirade. Dans une certaine clinique, le chirurgien venait récupérer ses émoluments en liquide, lors d'un week-end sur cette île paradisiaque. A la Polyclinique, ils étaient reçus avec ou sans carte de sécurité sociale à jour. Ils étaient accueillis et soignés. C'est ainsi que des dizaines, puis des centaines de désiradiens ont voyagé, pour être opérés. Un véritable cauchemar !
Qu'étais-je venu faire dans cette galère ?
Les moyens mis en oeuvre
› Tous les lundi à 11 heures, l'infirmière de la DDASS me téléphonait pour connaître les pathologies qui avaient sévi pendant la semaine, étant médecin sentinelle du Réseau National de Santé Publique (RNSP). Ainsi les autorités sanitaires de la Guadeloupe et du Ministère de la Santé, étaient tenues informées du problème de Santé Public de la Désirade dès le début.
N'obtenant aucune aide, malgré mes réclamations auprès de la DDASS, j'ai informé la presse : Il y a un grave problème de santé à la Désirade. Diverses hypothèses peuvent être envisagées : La cantine scolaire, puisque seuls les enfants au départ étaient malades, les chèvres pouvant être responsables d'une yersiniose, la rupture de la chaîne du froid lors des traversées du Canal.
› Ce n'est que plusieurs mois après le début du phénomène que la DDASS s'est manifestée, en venant inspecter la cantine scolaire sans faire de prélèvement ou analyse ; ces "messieurs dames" étaient en visite. Par la suite, aucune recherche étiologique n'a été entreprise, ni par la DDASS, ni par le RNSP.
Par contre, à la Polyclinique, on faisait des recherches de yersiniose, des coprocultures et différents examens biologiques pour retrouver l'agent pathogène. Toutes ces investigations se révélaient négatives.
› Le phénomène prenant de l'ampleur, commençait alors une joute médiatique : la DDASS contre les docteurs Manuceau et Le Cabellec. Sans qu'aucune action ne soit entreprise sur l'île pour essayer d'enrayer cette épidémie.
L'eau est désignée comme agent responsable
› Fin mai 1996, j'accusais la DDASS d'incompétence et nommais l'eau, distribuée par la SOGEA, seul dénominateur commun entre les habitants de l'île, comme éventuel responsable.
Les réactions ont été immédiates : on nous adressait des médecins enquêteurs.
› Fin juin 1996, je demandais aux désiradiens de cesser donc boire de l'eau du robinet et leur recommandais de la faire bouillir et d'y ajouter de l'eau de Javel.
Dès lors, il n'y avait plus de malade à la Désirade, seulement des assassins qui me menaçaient tous les jours, toutes les nuits. Deux tentatives d'assassinat avant ce fameux coup de poignard du 11 août 1996. On a tenté de me "suicider", car j'avais osé désigner le coupable : un groupe politico-fînancier, maffieu et métro-guadeloupéen ; une pieuvre dont les tentacules ont étranglé plus d'un et étrangleront encore, tant qu'elles ne seront pas définitivement coupées.