Version des faits par les autorités sanitaires

› Le Rapport d'Investigation, est le fruit de la collaboration de la Direction Départementale d'Action Sanitaire et Sociale (DDASS) et du Réseau National de Santé Publique (RNSP). Ces deux organismes du Ministère de la Santé, sont responsables de la Santé Publique en général et de celle des désiradiens en particulier. Au cours de cette crise, ils ont brillé par leur absence. Devant la pression médiatique et celle de la population, ils ont entrepris une enquête. Ainsi, juges et partie, leur conclusion ne pouvait que leur être favorable.

› Nous transcrivons ici le résumé du Rapport d'Investigation du RNSP. Il suffit largement pour connaître les arguments des Pouvoirs Publics.

L'analyse du résumé, sera faite dans la page suivante (Analyse de la version du RNSP).

Réseau National De Santé Publique

Épidémie d'appendicectomies chez les habitants de l'île de la Désirade Guadeloupe

France, août 1995 - juillet 1996
Rapport d'investigation

28 août 1996

Rapport rédigé par Philippe Quénel, Andoea Infuso, Véronique Goulet et Martine Ledrans, RNSP
14, rue du Val d'Osne-94415 Saint-Maurice cédex
Tél : 01 43 96 65 00 - Fax : 01 43 96 65 02

Résumé

Le 7 mars 1996, le Service d'Action Sanitaire de la Direction Départementale De l'Action Sanitaire et Sociale (DDASS) contacte le Réseau National de Santé Publique (RNSP) pour signaler la survenue, depuis le mois de septembre 1995, de 50 à 60 cas d'appendicite aiguë (en majorité des enfants) sur cette île, et à partir de cette date, une collaboration s'instaure, sous forme de soutien méthodologique du RNSP à la DDASS, afin d'investiguer ce problème. En l'absence de description dans la littérature internationale d'épidémies d'appendicites aiguës, cette augmentation anormale du nombre d'appendicectomies à la Désirade amenait à envisager trois hypothèses :

  • Celle d'une épidémie de syndromes appendiculaires aigus en rapport avec une infection par une yersiniose (par contamination alimentaire),
  • Celle d'une épidémie d'affections digestives aiguës (ou non) à tropisme abdominal, cette affection pouvant être d'origine infectieuse (alimentaire ou hydrique) à transmission inter-humaine ou non, parasitaire, (alimentaire ou tellurique) ou toxique (d'origine hydrique ou alimentaire), et
  • Celle de l'existence de troubles digestifs de nature non épidémique.

› Méthodes

Afin de décrire les caractéristiques des personnes appendicectomisées, de quantifier l'importance du problème, et de suivre son évolution dans le temps, une collecte exhaustive et continue des cas d'appendicectomies a été mise en place. Afin d'identifier la nature du problème sanitaire et de formuler des hypothèses étiologiques, les dossiers d'hospitalisation des personnes appendicectomisées ont été étudiés, et une expertise anatomopathologique d'un échantillon de 53 lames d'appendicectomies a été réalisée.

Devant la rareté des informations cliniques dans les dossiers d'hospitalisation, une enquête épidémiologique a été menée auprès des cas "récents" pour préciser l'histoire clinique des patients, décrire la symptomatologie déclarée par les personnes opérées, et étudier l'évolution post opératoire des symptômes. Parallèlement, deux enquêtes familiales ont été réalisées dans le but d'orienter les recherches vers l'identification éventuelle de "phénomènes" à transmission inter-humaine ou d'intoxication collective. Ces études ont été complétées par une enquête environnementale visant à étudier la qualité de l'eau du réseau de distribution.
Enfin, une étude du portage infectieux ou parasitaire a été menée au sein de la population de l'île.

› Résultats

Le nombre de personnes appendicectomisées recensées entre le 10 août 1995 et le 22 juillet est de 226, correspondant à un taux d'incidence cumulée de 14,1%. Ces cas sont répartis parmi les résidents de tous les quartiers de l'île, le taux d'incidence par zone cadastrale étant compris entre 5,7% et 19,5%. La courbe épidémique montre l'existence de 2 périodes: une période allant d'août 1995 à avril 1996 (49% des cas) au cours de laquelle le nombre de cas hebdomadaire moyen est de 3, suivie d'une période allant de mai 1996 à juillet 1996 (51% des cas) correspondant à l'acmé de l'épidémie avec un nombre de cas hebdomadaire moyen égal à 10. Le sexe ratio est proche de 1 (54% de femmes et 46% d'hommes). L'âge moyen est de 24 ans, variant de 1 à 85 ans et 40,4% des cas sont âgés de moins de 15 ans. L'analyse de la courbe épidémique en fonction de l'âge montre que dans la population des adultes, l'épidémie d'appendicectomies s'est manifestée essentiellement au cours de la deuxième période.

Bien que la quasi-totalité des cas (96%) ait été adressée à un chirurgien par le médecin de l'île pour suspicion d'appendicite aiguë, et que tous les cas aient été appendicectomisés (dans un délai inférieur à 48 heures pour 71% d'entre eux), l'ensemble des données cliniques et biologiques disponibles n'est pas en faveur de l'existence d'affections inflammatoires ou infectieuses aiguës ou subaiguës, ni d'affections parasitaires ou toxiques. Par ailleurs, l'expertise anatomopathologique des 53 lames d'appendicectomie réalisée par le service de l'hôpital Necker ne confirme le diagnostic d'appendicite aiguë que dans un cas. L'enquête épidémiologique menée auprès des cas confirme ces résultats en montrant que seule une minorité des personnes interrogées ont présenté des symptômes compatibles avec le tableau clinique habituel d'un syndrome appendiculaire aigu et qu'environ la moitié des patients avait présenté des symptômes évoluant depuis plus de 15 jours avant d'être opérés. Le pourcentage de sujets dont la symptomatologie douloureuse avait été améliorée par l'intervention était de 60%, correspondant surtout aux patients dont les symptômes évoluaient depuis moins de 2 semaines. L'ensemble de ces éléments permet d'écarter formellement l'hypothèse d'une épidémie d'appendicites aiguës.

Par ailleurs, les deux enquêtes familiales ne mettent pas en évidence d'histoire clinique commune à tous les cas, ni d'éléments cliniques permettant d'évoquer un phénomène de toxi-infection collective ou d'infection à transmission inter-humaine. Elles révèlent cependant l'existence au sein de la population, de symptômes douloureux abdominaux non spécifiques, d'allure subaiguë ou chronique. Les examens de selles réalisés dans la population ne montrent pas d'infestation parasitaire ni de contamination bactérienne anormalement fréquentes. Les résultats du contrôle sanitaire de l'eau effectués en octobre, novembre et décembre 1995 sont conformes à la réglementation, et les analyses effectuées par le CRECEP en juillet 1996 ne montre pas de contamination chimique de l'eau.

› Conclusions

L'ensemble des données épidémiologiques, cliniques, biologiques et anatomopathologiques permet d'écarter l'hypothèse d'une épidémie d'appendicites aiguës ou de syndromes appendiculaires en rapport avec une yersiniose sur l'île de la Désirade. Les résultats des différentes études menées ne permettent pas de conclure que les manifestations symptomatiques présentées par les habitants de l'île sont en rapport avec une affection commune d'origine parasitaire, infectieuse ou toxique. Ils suggèrent cependant l'existence, au sein de la population, de troubles du transit chroniques qui pourraient expliquer la fréquence de consultations pour douleurs abdominales. Ces troubles pourraient être en rapport soit avec les habitudes alimentaires de la population, soit avec un déséquilibre de la flore intestinale des habitants en rapport avec une consommation fréquente d'antibiotiques.

La distribution géographique des cas d'appendicectomie, qui montrait un taux d'incidence plus élevé dans la partie Est de l'île, pouvait faire évoquer une contamination du château d'eau. Cependant, le fait que la zone correspondant au Bourg (alimentée par l'eau provenant du réservoir) présente un taux d'incidence d'appendicectomies équivalant à la zone ouest (alimentée en direct par la canalisation amenant l'eau sur l'île) n'est pas en faveur d'une telle hypothèse. Les analyses de l'eau de distribution réalisées dans les 2 zones, toutes négatives, vont dans le même sens.

Au total, aucun phénomène épidémique en rapport avec une maladie d'origine infectieuse, parasitaire ou toxique n'a été observé sur l'île de la Désirade. L'épidémie d'appendicectomies qui a été observée est probablement liée aux modalités de prise en charge par les structures de soins auxquelles les habitants ont eu recours à l'occasion de troubles digestifs mineurs. Dans un contexte insulaire et du fait du recours à une filière médico-chirurgicale unique dont les réponses ne semblent pas avoir été appropriées, un climat d'inquiétude a vraisemblablement été à l'origine de cette flambée épidémique d'appendicectomies.

Cette épidémie a pris fin puisqu'un seul habitant de la Désirade a été appendicectomisé depuis le 1er août 1996. Cependant, la population reste très inquiète. Il est donc nécessaire de lui exposer clairement la situation et de lui assurer une prise en charge médicale adaptée à ses problèmes de santé. Il nécessaire également de mettre en place des mesures d'accompagnement psychologique ainsi qu'un programme d'aide sociale afin de prendre en compte les conséquences socio-économiques de cet événement, notamment chez les plus démunis. Dès que le contexte psychologique et social le permettra, il est souhaitable d'étudier, par des enquêtes ad hoc, les mécanismes psychosociologiques qui ont contribué à la survenue de ce phénomène, ainsi que la prévalence et si nécessaire l'origine des troubles digestifs chroniques dans la population.