L'Expertise du médecin légiste

Il s'agit bien d'une tentative d'assassinat et non d'un suicide, comme le laisse entendre le procès-verbal de la Gendarmerie.


EXAMEN MÉDICO-LÉGAL
du Docteur Louis-Marie LE CABELLEC



Je soussigné,
Docteur Alain PEDECH,
Chirurgien des Hôpitaux,
Médecin Légiste, Expert près la Cour d'Appel de RENNES,
Domicilié au Centre Hospitalier de LORIENT,

Certifie avoir examiné à sa demande le 26 février 1997 en mon Cabinet au Centre Hospitalier de LORIENT :

Monsieur Louis-Marie LE CABELLEC Docteur en Médecine

RECUEIL DES PREUVES :

DOCUMENTS COMMUNIQUES :

  • Certificat médical délivré le 12 septembre 1996 par le Docteur N'LANDU, Chirurgien au CHU de POINTE-A-PITRE;
  • Compte-rendu d'hospitalisation du 12 au 14 août 1996 dans le service de Réanimation du CHU de la GUADELOUPE à POINTE-A-PITRE;
  • Compte-rendu d'hospitalisation du 14 au 17 août 1996 dans le service de Chirurgie Vasculaire et Thoracique du CHU de la GUADELOUPE à PONTE-A-PITRE;
  • Compte-rendu d'hospitalisation du 23 au 31 août 1996 dans le service de Réanimation des maladies infectieuses de l'hôpital BICHAT-CLAUDE BERNARD à PARIS;
  • Compte-rendu d'hospitalisation du 31 août au 16 septembre 1996 dans le service des Maladies Infectieuses et Tropicales de l'hôpital BICHAT- CLAUDE-BERNARD à PARIS;
  • Compte-rendu du bilan médical effectué lors d'une hospitalisation de jour au service des Maladies Infectieuses et Tropicales de l'hôpital BICHAT- CLAUDE-BERNARD;
  • Compte-rendu d'échographie cardiaque trans-thoracique effectuée le 6 janvier 1997.
  • Procès verbal de synthèse établi le 20 août 1996 par Monsieur ANFRAY, commandant la Compagnie de Gendarmerie du MOULE, Officier de Police Judiciaire.

EXPOSE DES FAITS :

Monsieur LE CABELLEC nous déclare que le 1l août 1996 entre
20 heures 30 et 20 heures 45, à son domicile en l'île de LA DÉSIRADE (GUADELOUPE), il a été poignardé à l'aide d'une arme blanche à lame longue et étroite (une dague) lui appartenant. Blessé à la poitrine il a cependant pu faire quelques pas avant de s'écrouler victime d'un malaise.

Quelques minutes plus tard il a été découvert, conscient, par un ami voisin.

Des secours ont été organisés et Monsieur LE CABELLEC a été pris en charge par l'équipe médicale du S.A.M.U. arrivée sur place vers 22 heures 20 puis transféré par hélicoptère au Centre Hospitalier Universitaire de la GUADELOUPE à POINTE-A-PITRE où il a été directement admis au Bloc Opératoire à 23 heures 45.

A l'admission il a été constaté que l'arme était toujours en place.
Il a immédiatement subi une intervention chirurgicale par thoraco-phréno- laparotomie.
La nature des lésions constatées est décrite dans le certificat rédigé le
12 septembre 1996 par le Docteur N'LANDU, Chirurgien du CHU de POINTE-A-PITRE, qui certifie avoir fait les constatations suivantes :

  • " Une plaie thoraco-abdominale dont le trajet est oblique de haut en bas, antéro-postérieur, l'orifice d'entrée est latéro-mamelonnaire interne dans le 7ème espace inter-costal et l'orifice de sortie dans la fosse lombaire gauche ;
  • Une plaie thoracique sans lésion pulmonaire, l'arme blanche ayant frôlé le péricarde et le nerf phrénique gauche ;
  • Une plaie du diaphragme gauche ;
  • Une plaie de la rate ;
  • Une plaie de l'angle colique gauche "

Au cours de l'intervention chirurgicale il a été pratiqué l'ablation de la rate, la suture de la plaie du colon gauche, la suture de la plaie du diaphragme, un drainage thoracique gauche et un drainage abdominal de la loge splénique.

Monsieur LE CABELLEC a été transféré dans le service de Réanimation le 12 août 1996 à 03 heures. Il y a séjourné jusqu'au 14 août 1996 date à laquelle il a été transféré dans le service de Chirurgie Vasculaire et Thoracique.

Les suites opératoires auraient été simples en dehors de la survenue au sixième jour d'une péricardite avec épanchement péricardique de moyenne abondance, non compressif.

  • Le 22 août 1996 Monsieur LE CABELLEC a été transféré à PARIS et admis au Centre Hospitalier BICHAT-CLAUDE-BERNARD où il a subi le 23 août 1996, par une courte thoracotomie sous-mammaire droite, le drainage chirurgical d'une péricardite purulente avec un épanchement abondant, associée à un épanchement pleural droit également purulent.
  • Il a ensuite été admis dans le service de Réanimation des Maladies Infectieuses où un traitement médical a été poursuivi.
  • Au cours de cette hospitalisation il a présenté une phlébite du membre inférieur gauche.
  • Le 16 septembre 1996 Monsieur LE CABELLEC a quitté l'hôpital BICHAT-CLAUDE-BERNARD pour une Maison de Convalescence à LA ROCHE-SUR-YON où il a séjourné du 16 septembre au 5 octobre 1996.
  • Il a été revu le 7 octobre 1996 au service des Maladies Infectieuses et Tropicales de l'hôpital BICHAT-CLAUDE-BERNARD pour un bilan clinique, biologique et radio-échographique. Il a été constaté des séquelles de péricardite, sans constriction, et il n'a pas été retenu d'indication actuelle à une péricardectomie.
  • Le 6 janvier 1997 a été effectué une échographie cardiaque trans- thoracique qui a confirmé l'existence d'une densification du péricarde postéro-latérale sans constriction ni épanchement péricardique résiduel.

EXAMEN CLINIQUE DU 26 FÉVRIER I997 :

Il est constaté :

  1. Une cicatrice de plaie thoracique antérieure gauche située en regard du septième espace intercostal gauche, sur une ligne horizontale passant 2 cm au-dessous du mamelon, à mi-distance entre la ligne médiane du sternum et la ligne verticale passant par le mamelon gauche, à 10 cm au-dessus du rebord costal ; cette cicatrice est horizontale, longue de 12 mm, linéaire.
  2. Une cicatrice de la région lombaire gauche située un peu au-dessus de la crête iliaque, à 12 cm on dehors de la ligne verticale passant par l'extrémité des apophyses épineuses ; cette cicatrice, peu visible, est horizontale, longue de 8 mm, linéaire.
  3. La cicatrice d'une intervention chirurgicale ayant comporté une thoracotomie et une laparotomie médiane sus-ombilicale prolongée à gauche et au-dessus de l'ombilic ; cette cicatrice comprend deux portions, l'une thoracique, l'autre abdominale et sa longueur totale est de 36 cm, sa largeur de 3 à 5 mm.
    Cette cicatrice correspond à l'intervention chirurgicale effectuée en urgence au cours de la nuit du 11 au 12 août 1996 à PONTE-A-PITRE.
  4. Trois cicatrices opératoires situées en région sous-mammaire droite
    • Une cicatrice horizontale, légèrement incurvée, suivant un espace intercostal, longue de 8 cm, linéaire ; elle correspond à la thoracotomie pour péricardite et pleurésie purulente, effectuée le 22 août 1996 à l'hôpital BICHAT - CLAUDE-BERNARD ;
    • Deux autres cicatrices, sous-jacentes à la précédente, horizontales, longues de 2 cm, correspondant aux orifices de sortie des drains péricardique et pleural mis en place lors de cette même intervention.

DISCUSSION MÉDICO-LÉGALE.

Les documents médicaux consultés d'une part, les constatations faites à l'examen clinique du 26 février 1997 d'autre part, appellent des commentaires

  1. En ce qui concerne la nature de la blessure et son origine :

    Il est établi que le 11 août 1996 le Docteur LE CABELLEC a été victime d'une plaie thoraco-abdominale transfixiante provoquée par une arme blanche. Le siège et l'aspect des cicatrices correspondant aux orifices d'entrée et de sortie permettent de reconstituer avec précision le trajet de l'agent vulnérant et la dimension de la plaie :

    • La lame pénétrant en dedans du mamelon gauche au niveau du septième espace intercostal a transfixié la paroi thoracique antérieure, traversé la cavité pleurale entre la face interne du poumon gauche et le péricarde (qui a été "effleuré"), le diaphragme, la rate et l'angle colique gauche puis la paroi lombaire par laquelle la pointe est sortie.
    • Le trajet de la lame a suivi une direction d'avant en arrière, très oblique de haut en bas - selon un angle de 40° par rapport à l'axe vertical du corps, la victime étant présumée debout - et légèrement oblique de dedans en dehors.
    • La distance en ligne droite séparant l'orifice d'entrée de l'orifice de sortie est mesurée à 25 cm.

  2. En ce qui concerne les circonstances de la blessure, il est permis d'affirmer :

    • Le coup était destiné à tuer comme tendent à le prouver l'endroit où il a été donné (dans la région du coeur, épargnant par chance celui-ci, les gros vaisseaux situés à proximité et les poumons) ainsi que la grande vigueur avec laquelle il a été porté, permettant la traversée du corps de part en part.
    • Selon toute vraisemblance, le coup a été porté par un tiers en raison d'une part de la direction très oblique de haut en bas qui suggère que l'arme était tenue haut dans une main levée par une personne de grande taille puisque Monsieur LE CABELLEC mesure 1,80 m, en raison d'autre part de la force avec laquelle il a été donné, permettant de franchir la paroi thoracique et de transfixier le thorax et l'abdomen avant de franchir à nouveau la paroi musculaire de la région lombaire puis la peau offrant une certaine résistance.
    • L'hypothèse d'une auto-agression soulevée par les enquêteurs (cf. procès verbal de synthèse du 20 août 1996) est, du point de vue strictement médico-légal, peu plausible sinon invraisemblable et en tout état de cause incompatible avec la direction très oblique du coup et l'énergie nécessaire pour traverser le corps sur 25 centimètres ; de plus, étant donné le siège et l'étendue de la blessure, cette hypothèse supposerait de la part du Docteur LE CABELLEC une détermination indiscutable dans l'intention suicidaire au moment des faits et non un geste spectaculaire "destiné à donner une publicité supplémentaire à son combat".

CONCLUSION

Au total, l'analyse médico-légale de la blessure subie le 11 août 1996 à LA DÉSIRADE par le Docteur LE CABELLEC tend à prouver que ceIle-ci est la conséquence de l'action d'un tiers.

Fait à LORIENT, le 28 février 1997

Docteur Alain PEDECH