Témoignage du Pr Hartemann
4 novembre 1996
UNIVERSITÉ HENRI POINCARE
NANCY I ----- FACULTÉ DE MÉDECINE ----- LABORATOIRE D'HYGIÈNE ET DE RECHERCHE EN SANTÉ PUBLIQUE ----- 11 Bis, Gabriel Péri B.P. 288 54515 -VANDOEUVRE CEDEX ----- N° 238/96/PH/AC |
Le 4 novembre 1996 Monsieur le Docteur MANUCEAU |
Cher Collègue,
J'ai pris connaissance avec beaucoup d'attention du dossier de "La Désirade" que vous m'aviez adressé et vous comprendrez que devant une telle situation, il soit nécessaire de chercher des informations complémentaires avant de prendre éventuellement position. C'est ce que j'ai fait auprès de diverses sources et en particulier auprès de mes collègues du Réseau National de Santé Publique que je connais depuis de nombreuses années et dont je suis sûre qu'ils ont fait de leur mieux avec les moyens disponibles et ce en toute objectivité, sans risque d'interférence ou de succès d'une quelconque pression d'où qu'elle vienne.
Au stade actuel de mes informations et à plus d'un an de distance d'un phénomène pour lequel l'origine infectieuse ou toxique, si elle existe, sera très difficile à mettre en évidence, il semble que :
Les recherches du RNSP ne permettent pas de retrouver d'étiologie pouvant expliquer une épidémie, tant dans la répartition spatio-temporelle que dans les analyses biologiques ou anatomo-pathologiques : le dossier n'est pas clos et d'éventuels autres micro-organismes pourraient peut-être faire l'objet d'investigations à condition d'en avoir les moyens financiers nécessaires,
Si longtemps après le phénomène, il est très difficile de travailler, les mémoires sont défaillantes... ou orientées, les analyses sur l'eau ou les aliments de l'époque sont impossibles,
Sans prendre position sur l'origine éventuelle du phénomène, je ne peux que regretter à titre personnel que l'on puisse avoir une situation où l'ensemble des pouvoirs, y compris le contrôle sanitaire, soit réunis au sein d'une même famille travaillant par ailleurs pour un groupe privé de distribution d'eau et de services. C'est une situation que je dénonce depuis de nombreuses années, avec un succès mitigé, en particulier au niveau du contrôle sanitaire dont les laboratoires sont menacés d'intégration au sein de ces groupes. On ne peut être à la fois juge et partie, mais j'ai eu longtemps l'impression de mener un combat perdu d'avance... jusqu'à ce que certaines affaires politico-financières récentes ne lui redonnent une nouvelle crédibilité. N'oublions pas que la maladie de la vache folle en GRANDE BRETAGNE est partiellement un sous-produit de la privatisation des services vétérinaires rattachés aux grands groupes agroalimentaires dont les intérêts à court terme ne sont pas toujours ceux de la transparence et de mesures préventives désagréables et coûteuses.
Ayant eu à travailler sur un phénomène "épidémique"dans la même zone géographique il y a une quinzaine d'années dont la résolution dans la sérénité et sans tapage me semble avoir été positive pour la santé de la collectivité et m'a laissé de solides contacts sur place, Je ne peux également que regretter la situation actuelle du dossier "La Désirade" où les accusations, les attaques personnelles, les échanges de papier bleu et les futurs procès devant diverses instances ne font rien pour faire avancer la recherche des causes et améliorer la santé de la collectivité . En tant que spécialiste de santé publique, je ne peux que souhaiter que l'ensemble des protagonistes arrête cette escalade stupide et mon éventuelle intervention ne pourrait s'envisager que dans le cadre d'un contexte apaisé. Il est impossible de travailler scientifiquement sur un tel sujet et de faire apparaître la vérité sans consensus et soumis à des pressions diverses,
Quant aux résultats des analyses d'eau effectuées par l'Institut Pasteur, qu'à mon avis il ne faut pas mettre en cause, et en admettant qu'ils aient porté sur des échantillons représentatifs, ils ne sont en rien décisifs puisque les paramètres recherchés sont ceux du contrôle sanitaire de routine. Celui-ci repose sur la recherche de microorganismes indicateurs et non sur celle de pathogènes, Tout le monde sait que l'on peut retrouver des pathogènes dans une eau dite conforme aux normes de potabilité et ce dans certaines circonstances dont je ne sais si elles ont été réunies à ce moment, On ne peut trouver que ce que l'on recherche et à ma connaissance les analyses cfectuées en période “critique” ne permettent d'écarter aucune hypothèse. Rappelons à titre d'exemple l'épidémie de MILLWAUKEE d'origine hydrique à Cryptosporidium aux USA en 1993 avec 400.000 cas et une eau conforme aux normes de potabilité.
En conclusion, et à ma connaissance, rien dans les données actuelles ne permet de mettre en cause l'eau, mais il semble aussi, qu'avec un tel délai, i1 soit difficile d'explorer toutes les étiologies possibles, Quant à moi, je ne peux, pour les raisons évoquées plus haut, que refuser d'aller plus avant dans ce dossier, sauf à être saisi comme expert par les Autorités judiciaires. En revanche, je souhaite de tout coeur que cette escalade procédurière cesse afin qu'un climat apaisé puisse permettre un travail plus consensuel et qu'à ce problème médical puisse être trouvée une solution médicale et non judiciaire.
C'est dans cet esprit que j'adresse copie de cette lettre 4 la Direction Générale de la Santé et au RNSP.
Veuillez agréer, Cher Confrère, l'assurance de mes sentiments dévoués.
Professeur Ph. HARTEMANN,