Décision de la Cour d'Appel de Paris


Extrait des minutes du Secrétariat-Greffe
de la Cour d'Appel de Paris
DOSSIER N°99/07094
ARRET DU 6 SEPTEMBRE 2000

Pièce à conviction :
Consignation P.C. : n° 98/625
8.000 F versée le 21/4/1998 TGI PARIS


COUR D'APPEL DE PARIS


11ème Chambre, section A
(N° 1 , 12 pages)


Prononcé publiquement le MERCREDI 6 SEPTEMBRE 2000, par la 11ème Chambre des Appels Correctionnels, section À,

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Sur appel d’un jugement du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS - 17EME CHAMBRE du 30 SEPTEMBRE 1999, (p9809123170).


PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR :

GRIMALDI Chbristian Benoît,

né le 5 Novembre 1935 à Paris 9°, fils de GRIMALDI Robert et de GREDAI Simone, de nationalité française, marié, administrateur de société, demeurant 37 Rue du Louvre - 75002 PARIS, déjà condamné,

Prévenu, non comparant, libre
Représenté par Maître BENATAR Albert, avocat au barreau de PARIS toque E 103,

Appelant,


PEREZ Martine épouse WEIL-RAYNAL,

née le 6 Octobre 1953 à Montreuil (93), fille de PEREZ Nessim et de BERGUIG Irène, de nationalité française, mariée, journaliste, demeurant 37 Rue du Louvre - 75002 PARIS, jamais condamnée,

Prévenue, comparante, libre
Assistée de Maître BENATAR Albert, avocat au barreau de PARIS toque E 103,

Appelante,


LE FIGARO (SOCIETE),

37 Rue du Louvre - 75002 PARIS

Civilement responsable, Représentée par Maître BENATAR Albert, avocat au barreau de PARIS toque E 103,

Appelante,


SOCPRESSE (SOCIETE),

12 Rue de Presbourg - 75116 PARIS

Civilement responsable,
Représentée par Maître BENATAR Albert, avocat au barreau de PARIS toque E 103,

Intimée,


LE MINISTÈRE PUBLIC

Non appelant,


LE CABELLEC Louis

Elisant domicile au cabinet de Maître BENAIEM Bernard, avocat, 5 avenue de l’Opéra 75001 PARIS

Partie civile, non comparant Représenté par Maître BENAÏEM Avocat au barreau de PARIS TOQUE D 90,

Intimé,


MANUCEAU Jérôme

Elisant domicile au cabinet de Maître BENAIEM Bernard, avocat, 5 avenue de l’Opéra 75001 PARIS

Partie civile, comparant
Assisté de Maître BENAIEM Avocat au barreau de PARIS TOQUE D 90,

Intimé,


COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats et du délibéré,

Président :



Monsieur BLANC, Conseiller désigné par ordonnance de Monsieur le Premier Président pour présider cette chambre en l'absence et par empêchement de ses Présidents,
Conseillers :



Monsieur DELETANG,
Monsieur BARRAU, magistrat appelé d’une autre chambre pour compléter la Cour en remplacement de l’un de ses membres empêché,

GREFFIER : Madame de BOUSSIERS lors des débats et lors du prononcé du délibéré,

MINISTÈRE PUBLIC : représenté aux débats et au prononcé de l’arrêt par Monsieur BARTOLI, Avocat Général.



RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

LA PREVENTION :

A la suite d’une plaïnte assortie de constitution de partie civile de Messieurs LE CABELLEC et MANUCEAU, et par-ordonnance d’un juge d’instruction en date du 9 octobre 1998, GRIMALDI Christian, directeur de publication du journal LE FIGARO et PEREZ Martine épouse WEIL-RAYNAL, journaliste, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour y répondre en qualité d’auteur et de complice du délit de diffamation publique envers particuliers, en raison de la publication dans le quotidien LE FIGARO du 2 janvier 1998, d’un article intitulé : "Psychose de l'appendicite sur l’île de La Désirade" ;

Par actes des 20 octobre et 5 novembre 1998, les prévenus, la SA du FIGARO et la société SOCPRESSE en qualité de civilement responsables, ont été cités devant le tribunal ;


LE JUGEMENT :
Le tribunal, par jugement contradictoire,

a déclaré :

GRIMALDI Christian coupable de DIFFAMATION ENVERS PARTICULIER(S) PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OÙ MOYEN AUDIOVISUEL, le 2 janvier 1998, à Paris, sur le territoire national, infraction prévue par les articles 32 al. 1, 23 al. 1, 29 al. 1, 42 de la loi du 29/07/1881 et réprimée par l’article 32 al. 1 de la loi du 29/07/1881,

PEREZ Martine épouse WEIL-RAYNAL coupable de COMPLICITE DE DIFFAMATION ENVERS PARTICULIER(S) PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OU MOYEN AUDIOVISUEL, le 2 janvier 1998, à Paris, sur le territoire national, infraction prévue par les articles 32 al. 1, 23 al. 1, 29 al. 1, 42 de Ia loi du 29/07/1881, 121-6 et 121-7 du Code Pénal et réprimée par l’article 32 al. 1 de la loi du 29/07/1881, 121-6 et 121-7 du Code Pénal,

Et par application de ces articles,

a condamné :

GRIMALDI Christian à 20.000 F d'amende,

PEREZ Martine épouse WEIL-RAYNAL à 20.000 F d’amende,

a déclaré la société SOCPRESSE hors de cause,

a reçu la constitution de partie civile de Messieurs LE CABELLEC et MANUCEAU,

a condamné solidairement Christian GRIMALDI et Martine PEREZ épouse WEIL RAYNAL à verser à chacune des parties civiles la somme de 40.000 F à titre de dommages-intérêts,

a déclaré la SA Le Figaro civilement responsable,

a débouté les prévenus de leur demande fondée sur l’article 472 du code de procédure pénale.

LES APPELS :

Appel a été interjeté par :

Maître BENATAR Albert, Conseil de Monsieur GRIMALDI Christian, le 4 Octobre 1999 sur les dispositions civiles et pénales,
Maître BENATAR Albert, Conseil de la société LE FIGARO, civilement responsable, le 4 Octobre 1999, appel dirigé contre Messieurs MANUCEAU et LE CABELLEC,
Maître BENATAR Albert, Conseil de Madame PEREZ Martine, le 4 Octobre 1999 sur les dispositions civiles et pénales,

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DÉROULEMENT DES DÉBATS :

Par arrêts interruptifs d'instance en date du 15 décembre 1999 et 15 mars 2000, l’affaire a été renvoyée contradictoirement au 14 juin 2000 pour plaider ;A l’audience publique du 14 juin 2000, le Président a constaté l’absence du prévenu GRIMALDI Christian cité le 4 novembre 1999 à domicile qui est représenté par son Conseil ;

Madame PEREZ Martine épouse WEIL RAYNAL, citée le 4 novembre 1999 à domicile, comparaît assistée de son Conseil ;

la SA LE FIGARO et la société SOCPRESSE, civilement responsables cités le 4 novembre 1999 à domicile, sont représentées par leur Conseil ;

M. LE CABELLEC, partie civile citée le 5 novembre 1999 à domicile élu, est représenté par son Conseil ;

M. MANUCEAU, partie civile citée le 5 novembre 1999 à domicile élu, comparaît assisté de son Conseil ;


Maître BENAIEM sollicite l’audition de MM. NOIRCLERC, BRUN et TONTON en qualité de témoin,

La Cour après en avoir délibéré sur le siège a ordonné l’audition des témoins sollicitée,

M. le président a alors ordonné aux témoins de quitter la salle d’audience ;


Ont été entendus :

- M. BLANC en son rapport,

- PEREZ Martine épouse WEIL-RAYNAL en ses interrogatoires et moyens de défense,

- la partie civile en ses observations,

MM. NOIRCLERC, BRUN et TONTON, dont l’audition immédiate a été ordonnée par la Cour, ont été réintroduits l’un après l’autre dans la salle, ont satisfait aux prescriptions de l’article 445 du code de procédure pénale, et, avant de déposer, ont prêté serment de dire toute vérité, rien que la vérité,

MM. NOIRCLERC, BRUN et TONTON ont alors été entendus en leurs déclarations qui ont été dûment consignées dans des procès-verbaux d’audition de témoin de ce jour, joints au dossier,


Ont ensuite été entendus :

Maître BENATAR Albert, Avocat en sa plaïdoirie ;

Monsieur BARTOLI, Avocat Général, en ses réquisitions ;

Maître BENAIEM, Avocat des parties civiles en sa plaidoirie ;

PEREZ Martine épouse WEIL-RAYNAL et son avocat qui ont eu la parole en dernier.

Le Président a ensuite déclaré que l’arrêt serait prononcé le 6 SEPTEMBRE 2000.

A l'audience publique du 06 septembre 2000, il a été, en application des dispositions des articles 485 et 486 du code de procédure pénale, donné lecture de l'arrêt par M. BLANC, Président.


DÉCISION :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Mr Christian GRIMALDI et Mme Martine PEREZ épouse WEIL-RAYNAL, prévenus, ainsi que la société SA LE FIGARO, civilement responsable, ont régulièrement interjeté appel le 4 octobre 1999 du jugement rendu contradictoirement par le Tribunal de Grande Instance de Paris (17ème chambre) le 30 septembre de la même année.

Mme Martine PEREZ épouse WEIL-RAYNAL est présente et assistée.

Mr Cbristiqin GRIMALDI, la société SA LE FIGARO et la société SOCPRESSE, civilement responsables, sont représentés.

Leur Conseil commun plaide en faveur de la réformation du jugement et de leur relaxe.

Mr Louis-Marie LE CABELLEC, partie civile intimée, est représenté. Mr Jérôme MANUCEAU, partie civile intimée, est présent et assisté.

Leur Conseil commun plaide en faveur de la confirmation du jugement déféré et sollicite de la Cour qu’elle condamne les prévenus à leur verser par application de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 30.000 francs pour les frais qu’ils ont dû engager devant la Cour du fait des appels des prévenus.

Les poursuites résultent de l’ordonnance de renvoi devant les premiers juges en date du 9 octobre 1998 faisant suite à la plainte avec constitution de partie civile de Messieurs LE CABELLEC et MANUCEAU qu’ils ont déposée le 18 avril 1998.

Cette ordonnance de renvoi vise Mr Christian GRIMALDI, Mme Martine PEREZ épouse WEIL-RAYNAL respectivement en qualité de directeur de publication du FIGARO et auteur principal, auteur de l’article en cause et complice du délit de diffamation publique envers particuliers, prévu et réprimé par les articles 29 al. 1 et 32 al. 1 de la loi du 29 juillet 1881 à raison de la publication, dans le quotidien LE FIGARO daté du 2 janvier 1998. d’un article intitulé : "Psychose de l’appendicite sur l’île de la Désirade" et sous-titré : “Les médecins avaient confondu des troubles digestifs avec l’inflammation de l’appendicite. Résultat : 13 % de la population opérée, en majorité pour rien. Enquête sur une panique.” et dont les parties civiles considéraient que le titre, le sous-titre, ainsi que le passage suivant étaient diffamatoire à leur égard :

“Dans un climat de psychose, une longug enquête de la Direction des Affaires Sanitaires et Sociales (DDASS = et du Bssea national de la santé publique (RNSP) a finalement conclu que les comportements médicaux inadaptés de toute la chaîne de soins étaient en réalité à l’origine de ce phénomène. Une histoire vraie qui pose concrètement le problème de l'évaluation des pratiques en médecine.

Sur l’île, il y a en tout et pour tout sur le plan sanitaire, un médecin, un pharmacien, un dentiste et une infirmière.

Les patients nécessitant une intervention ont pris l’habitude d’aller en Guadeloupe, dans une même clinique, voir le même chirurgien à Pointe à Pitre.

Dans un premier temps, les enquêteurs de la DDASS ont fait faire des examens biologiques sur les personnes opérées à la recherche d’une yersiniose, une infection transmise par la contamination alimentaire et responsable d’un. syndrome ressemblant à l’appendicite aiguë.

Les contrôles sanitaires effectués sur l’eau du robinet S’avèrent normaux et conformes à la réglementation.

Et le nombre d’opérés continue d’augmenter : d’août à avril 1996, trois cas hebdomadaires ; de mai 1996 à juillet 1996 : 10 cas par semaine.

L'équipe du réseau national de santé publique se rend sur place en juin 1996 pour mener une enquête approfondie.

Les résultats de l’expertise reviennent rapidement : sur 50 lames, une seule est compatible avec une appendicite aiguë. Les autres sont strictement normales. La majorité des malades a donc vraisemblablement été opérée pour rien.

Les personnes opérées souffraient de différents types de troubles digestifs. Mais en tout cas pas d’appendicite dans la grande majorité des cas.

Il faut savoir que sur l'ile un nouveau médecin auparavant installé en Bretagne, était arrivé en août 1995. Chaque fois ou presque qu’un patient se plaignait de douleurs abdominales, il l’envoyait rapidement à la clinique de Pointe à Pitre. Le même chirurgien opérait immédiatement sans se poser plus de questions.

Le médecin a quitté l’île après avoir été victime d’une agression.

Un nouveau généraliste s’est installé à La Désirade. Pour l’année 1997, la situation est redevenue presque normale : 14 personnes seulement ont été opérées”

Les premiers juges, après avoir considéré que les parties civiles étaient identifiables à la lecture du-dit article, en ont retenu le caractère diffamatoire à l’égard des deux médecins parties civiles, ont écarté l’offre de preuve comme inopérante et refusé le bénéfice de la bonne foi aux prévenus.

Ils ont mis hors de cause la société SOCPRESSE, qui n’est pas éditrice du journal "LE FIGARO" cette disposition n’étant pas contestée par les appelants.

Devant la Cour, Mr Jérôme MANUCEAU 2 indiqué qu’il ne connaissait pas Mr Louis-Marie LE CABELLEC avant son arrivée à Pointe à Pitre en juillet 1996 et qu’il n’avait fait que remplacer son prédécesseur sur ce poste en tant que correspondant pour la médecine viscérale du seul médecin de l’île de la Désirade. Il confirme les chiffres sur le passage de 3 appendicites sur la période comprise entre août 1994 et août 1995, puis entre septembre 1995 et août 1996, à 196 cas diagnostiqués.

Il indique que tous les journaux locaux ou nationaux qui ont évoqué l’affaire ont précisé son nom et celui de Mr Louis LE CABELLEC qui a quitté l’île à la fin de 1996.

Il exprime sa conviction selon laquelle le rapport du Réseau National de Santé Publique a été monté de toutes pièces pour éviter de mettre en cause la qualité de l’eau à La Désirade et soutient que la journaliste ne pouvait pas, si elle était de bonne foi, ne pas se rendre compte que Mr Louis LE CABELLEC et lui-même y servaient de bouc émissaires.

Il ajoute, concernant l'analyse à Paris des cinquante “lames”, que le rapport du RÉSEAU NATIONAL DE SANTE PUBLIQUE ne tient pas compte des conclusions du rapport Brousse sur le sujet.

Mme Martine PEREZ épouse WEIL-RAYNAL soutient qu’elle considère le RÉSEAU NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE comme parfaitement indépendant et expose que le but de son article était d'illustrer comment une structure médicale inadaptée avait pu produire une épidémie.

Elle affirme qu’elle n’a ni écrit dans l’article ni même imaginé que les deux parties civiles se soient rendues coupables de compérage, contrairement aux motifs du jugement.

Elle soutient qu’en tant que médecin elle ne croit pas que la pollution de l’eau puisse engendrer des appendicites.

Elle confirme qu’elle n’a pas contacté les parties civiles avant d’écrire son article et le justifie par le fait que son article est paru bien après d’autres articles des journaux locaux.

Trois témoins ont été cités par les parties civiles :

- Mr Georges TONTON, président de l’association “Santé- Désirade” qui a exprimé sa conviction de ce que la pollution de l’eau était à l’origine du nombre des appendicites durant cette période.

- Mr Gabriel BRUN, chirurgien, qui a fait part de ses réserves sur le rapport du RÉSEAU NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE et précisé qu’il ne lui paraissait pas aberrant qu’au vu des douleurs abdominales des habitants de l’île, le médecin préconise une appendicectomie.

- Mr Michel NOIRCLERC, professeur de médecine, chirurgien et expert judiciaire, indique que l’article reproduit une erreur du rapport du RÉSEAU NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE qui rend compte imparfaitement des conclusions du Professeur Brousse sur les 50 lames et soutient que ce que l’on peut, à son sens, reprocher à l’article, c’est qu’il se fait l’écho du rapport du RÉSEAU NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE, sans assez de distance.

Le Conseil des prévenus soutient que l’article en cause n’est pas diffamatoire à l'égard des parties civiles auxquelles, contrairement aux motifs des premiers juges, il n’impute en rien d’avoir pratiqué du compérage.

Mr l’Avocat général fait observer qu’ayant fait une offre de preuve de la vérité des faits, les prévenus ne sont pas fondés à contester le caractère diffamatoire de l’article en cause et considère que le jugement déféré doit être confirmé.


SUR CE

L'article en cause, paru dans la page consacrée à “LA VIE SCIENTIFIQUE” du quotidien LE FIGARO et signé du nom de la journaliste avec la mention de son titre de médecin, expose d’abord les conditions dans lesquelles un nombre considérable d’appendicectomies ont été brutalement diagnostiquées à l’île de la Désirade en particulier sur la période entre septembre 1995 et juillet 1996, et fait état ensuite des investigations opérées pour expliquer ce phénomène ayant donné lieu à une psychose de l’appendicite sur l'île :

Dans le sous-titre à l’article (“Les médecins avaient confondu des troubles digestifs avec l’inflammation de l’appendicite. Résultat : 13 % de la population opérée, en majorité pour rien. Enquête sur une panique. ”) puis dans le chapeau qui suit en caractères gras, la thèse présentée par la journaliste à partir de la “longue enquête” à laquelle il a été procédé par la Ddass et par Le RÉSEAU NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE, et enfin dans le corps de l’article, est celle d'une épidémie d'appendicectomies due à une mauvaise prise en charge médico- chirurgicale.

Suit un paragraphe immédiatement après cette conclusion présentant l’unique médecin de la Désirade, arrivé de Bretagne en août 1995 dont il est affirmé que “chaque fois qu'un patient se plaignait de douleurs abdominales, il l’envoyait rapidement à la clinique de Pointe à Pitre, où le même chirurgien opérait immédiatement sans se poser plus de questions semble-t-il”, la précision étant apportée que le médecin avait quitté l'île après avoir été victime d'une agression, et que depuis qu’il était remplacé, le taux d’appendicectomies diagnostiquées était redevenu normal, il est également indiqué que le Conseil National de l’Ordre des médecins a été saisi de ce dossier.

C’est à juste titre que les premiers juges ont estimé que chacune des parties civiles était identifiable dans l’article en cause qui se focalise sur le dysfonctionnement entre le médecin généraliste et le chirurgien de Pointe à Pitre : le fait que leurs noms n’y soient pas mentionnés est sans incidence à cet égard dès lors qu’intrinsèquement et qui plus est au regard des informations parues préalablement dans la presse qui à fait état de leurs noms et fonctions, chacune des parties civiles est parfaitement identifiable pour le public de la Désirade et de la Guadeloupe en tous cas.

Le caractère diffamatoire du passage en cause est évident à l’égard de Mr Louis LE CABELLEC, présenté au mieux comme incompétent, dans la mesure où quelque soit la douleur abdominale du malade, il préconisait une intervention chirurgicale, mais où il est également insinué qu'est instituée une articulation coupable avec le chirurgien, dès lors que lui seul est amené à la suite de ce diagnostic, à procéder à l’intervention chirurgicale subséquente.

L'information selon laquelle ce médecin est parti à la suite d’une agression dont il a été victime ajoute à la suspicion dans la mesure où faute d’information complémentaire et dans un tel contexte, il est suggéré qu’il y a un lien entre cette agression et la pratique professionnelle de Mr Louis-Marie LE CABELLEC.

De même l’affirmation, même exacte, selon laquelle depuis son départ, le nombre d’opérations est redevenu normal, parachève l’allégation générale de ce que la manière d'exercer de Ia partie civile participait de ce que “Les comportements médicaux inadaptés de toute la chaîne de soins étaient à l'origine de ce phénomène”. (chapeau de l’article).

Concernant Mr Jérôme MANUCEAU, l'affirmation de ce que, destinataire de tous les malades de l’île présentant des douleurs abdominales adressés par Mr Louis-Marie LE CABELLEC, il les “opérait immédiatement, sans se poser plus de questions, semble-t-il” lui impute clairement de trahir les valeurs fondamentales de sa fonction de médecin et les devoirs de sa charge.

Pour être absolutoire, la preuve de la vérité des dits faits doit être parfaite, complète, et corrélative aux imputations dans toute leur portée et leur signification diffamatoire.

Or l'analyse des pièces fournies dans le cadre de l’offre de preuve ainsi que les dépositions des témoins devant les premiers juges et devant la Cour atteste de ce que si la conviction de certains, selon lesquels la pollution de l’eau était le seul et unique facteur de l’accroissement subit du nombre d’appendicites aiguës pour la période considérée, parait infondée, pour autant l'affirmation d’une responsabilité unique et personnelle des deux parties civiles par rapport au dit phénomène ne résulte pas de manière aussi évidente que le laisse penser l’article en cause.


Sur la bonne foi :

Les imputations diffamatoires sont réputées faites de mauvaise foi, sauf à ce que le prévenu établisse que tout à la fois, elles correspondent à la poursuite d’un but légitime, qu’elles ne traduisent pas une animosité personnelle de sa part à l'égard de la partie civile, fassent suite à une enquête sérieuse, et soient exprimées avec mesure.

Le but poursuivi à travers cet article est non seulement légitime mais salutaire.

Aucune animosité personnelle ne paraît pouvoir être reprochée aux prévenus à l’égard des parties civiles dans l’article en cause dont l’expression est mesurée.

Il n’en demeure pas moins que s’agissant qui plus est d’un article signé par un médecin, le sérieux de l’enquête qui aurait dû précéder sa rédaction fait défaut :

D'une part l’affirmation péremptoire selon laquelle sur les cinquante lames de prélèvement d‘appendices, une seule est compatible avec une appendicite aiguë qui est présentée comme l’un des appuis scientifiques les plus probants à la conclusion mettant en cause les parties civiles, est inexacte, ainsi que cela résulte du rapport Brousse, produit dans l'offre de preuve mais aussi du commentaire qu’en a fait y compris le Dr QUENEL -cité par les prévenus devant les premiers juges- du rapport établi par le RÉSEAU NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE.

D'autre part l’auteur de l’article n’a pas pris soin de consulter les parties civiles avant d’exprimer le point de vue violemment critique qu’elle exprime sur la manière dont ils ont exercé leur profession en la circonstance.

La culpabilité des prévenus ainsi que les peines prononcées seront donc confirmées.


PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de Martine PEREZ épouse WEIL RAYNAL, prévenue et de Jérôme MANUCEAU, partie civile, contradictoirement en application des articles 411, 415 et 424 du code de procédure pénale en ce qui concerne Christian GRIMALDI, prévenu, la SA du FIGARO, la société SOCPRESSE, civilement responsables, et Louis LE CABELLEC, partie civile et après en avoir délibéré,

Reçoit les appels des prévenus et de la SA du FIGARO, civilement responsable,

Confirme le jugement déféré sur la mise hors de cause de la société SOCPRESSE, la responsabilité civile de la société LE FIGARO ainsi que sur la culpabilité, les peines prononcées à l’égard des prévenus, et les dommages et intérêts alloués aux parties civiles,

Infirmant pour le surplus,

Fixe à 10.000 (dix mille) francs la somme due par chacun des prévenus à chacune des parties civiles en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale au titre des frais engagés devant le tribunal et la Cour,

Rejette toute autre demande comme inopérante ou mal fondée.

LE PRÉSIDENT,

LE GREFFIER,

La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d’un montant de 800 Francs dont est redevable chaque condamné.

-Droits fixes de procédure soumis aux dispositions de l’article 1018 A du Code Général des Impôts-